Le plus difficile, au début, c’est de reconnaître qu’on n’a pas de contrôle. De façon générale, jamais on n’a de réel contrôle sur ce qui nous attend ; cela semble encore plus vrai quand les balises qui nous guident (horaires, calendriers, planifs, paiements, etc.) sont brouillées.
Apprendre à naviguer sans boussole, à nager dans un risque dont on ne voit pas le fond, et persister toujours à ne pas s’en faire. Avoir confiance.
Évidemment, il ne suffit pas d’avoir confiance « en la vie ». Crier namasté en te pitchant en bas du pont, ce n’est jamais une bonne idée. On ne doit pas fermer les yeux et vivre sans rien prévoir.
Au contraire. Il faut seulement apprendre doucement à lâcher prise sur l’anticipation constante, apprendre à vivre en déséquilibre (ou en dyséquilibre). Cela implique force et tranquillité. Ce n’est pas facile de ne pas être anxieux. Ce n’est pas évident de transformer le stress en énergie créatrice. Ce n’est pas simple d’être calme et de profiter de ce temps d’isolation.
Les médias nous proposent tout plein d’activités passionnantes à réaliser, pour se trouver, se retrouver.
Pourtant, ces dix derniers jours, tout ce que j’ai pu faire, c’est consommer des médias. Écouter la radio. Regarder des vidéos. Lire des articles, de longs articles. Scroller des centaines de statuts Facebook, des dizaines de memes.
Me gaver d’information, rire jaune, me soûler du présent.
Je n’ai absolument pas eu la tête à me plonger dans les projets pressants qui m’occupaient l’esprit jusqu’à… il y a dix jours. Ces projets qui me semblaient soudain si futiles et inutiles.
Comment profiter, alors, de toutes ces recommandations de livres, d’activités ? Lire un pavé ? Profiter de l’abondance de concerts, de films et de séries dont regorge le web ? Ouf… Ça donne le vertige.
Pourtant, rien ne fait autant de bien que de se concentrer ou de s’excentrer, se noyer dans l’accaparant et dans le distanciant. Avoir comme seul contrôle celui des pages qu’on tourne, des images qu’on contemple, de nos heures créatrices.
Dans mon Québec qui m’émeut, solide et solidaire devant le monde autour qui tremble et qui s’enfièvre, les perspectives des semaines qui viennent, des rayons du temps doux, et le calme du « tout ira bien » me remplissent de la sourde patience qui arme contre le sort qui vient, qui donne toutes les raisons de relaxer les heures qu’on garde trop chargées, de reprendre le temps de prendre son temps.
Le plus difficile, au début, c’est de reconnaître que je n’ai pas tout à fait le contrôle des heures, des jours, de ce qui adviendra.Pour le moment, je contrôle mes déplacements, mes distances physiques et mes lavages de mains. C’est déjà un un beau début.