Ça commence par une espèce de frisson. Un sentiment d’inquiétude, qu’on espère non fondé. Un malaise qu’on chasse du revers de la main. Une intuition qu’on ignore.
Puis, deux semaines plus tard, on a comme un point dans le fond de la gorge. On tousse un peu. On sent comme une fatigue dans les muscles. L’inquiétude est de retour, mais on ne peut plus l’ignorer.
Le lendemain, il y a un arrière goût de maladie qui nous dit qu’on sait très bien de quoi il en retourne. Test. Résultat. Positif.
Claque. Inspire. Agit. Message à toutes les personnes que j’ai croisées dans les jours qui ont précédé. C’est à la fois un cri d’alarme et un cri du cœur. Stress sur fond de maladie qui commence à m’engourdir les bronches. Le goût caractéristique du virus se développe de plus en plus. Un goût pâteux, laiteux, aigre, qui ne me quittera plus pour les prochaines semaines.
Ma pire crainte c’est de l’avoir passé à quelqu’un d’autre. Je refais tous mes trajets cent fois. Je suis ici, maintenant, mais je suis aussi à tous les endroits que j’ai visités depuis quatorze jours. Je suis seul chez-moi, mais je suis aussi avec toutes les personnes qui m’entourent, que j’ai peut-être infectées.
S’ensuit une semaine où on se dit que ça ne va pas trop mal. Je n’ai pas trop mal. Les amis ne semblent pas l’avoir pogné. J’ai bon espoir de ne pas l’avoir donné. Je repasse sans cesse chacun de mes gestes des deux dernières semaines. Je suis soulagé d’avoir porté mon masque. Je suis confiant de ne pas avoir été imprudent. Je doute quand même. Je n’ai plus confiance en rien. Je l’ai quand même attrapé, moi, malgré ma vigilance, ce satané virus.
Merde. Je l’ai. Ça me frappe. Je suis une statistique. Un de 187 aujourd’hui. J’ai attrapé ce qu’il ne fallait pas attraper. Je suis un mort en puissance. Je me rassure, ça va bien, je ne suis pas trop malade. Et je n’ai, jusqu’à maintenant, contaminé personne.
Puis, je commence à comprendre ce que ça doit être, d’être trop malade. Je crash. La fatigue. Les poumons englués. Les entrailles qui commencent à se liquéfier dans cet état étrange dans lequel la maladie plonge tout mon être, le moral y compris.
Ça goûte mauvais. Ça fait mal. Ça va mal. Dehors il fait gris et il fait froid. Je suis gris et j’ai froid. Je me rassure en me disant que ça ne fait pas si mal, que j’évite le pire, pour l’instant. Tout semble une question d’instant. Je dors. Je délire. Je me noie dans la maladie et dans les idées noires qui m’enveniment.
Heureusement il y a la famille, il y a les amis. Les « comment ça va aujourd’hui » ? Les « as-tu besoin de quelque chose » ? Les « n’hésite pas si tu veux quoique ce soit ». Les « on pense à toi ». L’inquiétude que portent les autres à mon égard me déleste du fardeau de la peur. Il ne me reste qu’à écouter l’ordre qu’on me ressasse dix fois par jour et à me reposer.
Mon lit commence à me repousser. Je n’en peux plus d’en être prisonnier. Mais je n’ai la force de rien d’autre que d’y rester, engoncé, enfoncé jusqu’aux oreilles. Chaque inspiration est difficile. Chaque geste me coûte un effort considérable. Chaque mouvement réveille en moi des douleurs nouvelles qui irradient tout mon torse. Chaque effort en appelle à sa quinte de toux creuse, viciée, contagieuse. Je suis embrouillé dans un nuage de virus. Je suis une arme chimique.
L’isolement me pèse. Je rage. Je suis en colère. Je n’en peux plus de ne pas sortir, de ne pas bouger, de m’ankyloser à dormir, manger, dormir, tousser, dormir, dormir. Je n’ai aucune concentration, aucune motivation, aucune volonté. Je me liquéfie, gluant, polluant, mourant.
Puis je me ressaisis. Un matin, alors qu’on s’attend à pire, on respire un peu mieux. Un peu plus profondément. On a un peu plus faim. On se sent un peu mieux. À peine. On ne fait plus confiance à la maladie, mais on croit en son corps. Les douleurs s’apaisent. Malgré la fatigue tenace, les frissons soudains et l’envoûtement général dans lequel on est encore plongé, on se sent mieux. Le goût du virus est moins âpre.
Et je compte, à rebours, les jours qui me séparent de ceux que j’aime. Les jours qui me séparent de ma guérison. En attendant, je retourne dormir.