De retour à Montréal. En replongeant dans les images que je conserverai de mon séjour en Espagne, je regarde le ciel gris-blanc qui plane sur nos têtes. Il évoque plutôt bien l’état de mes sentiments.
Aujourd’hui, nous sommes au 15e jour d’une mobilisation qui devient permanente en Catalogne.
En deux semaines, on a vu dans Barcelone des pique-niques pour la république devant la Sagrada Familia, des soirées dansantes pour la justice sur l’avenue Marina, une immense partie de ballon dans la rue pour le dialogue dans Gràcia, et bien sûr, de grandes manifestations, dont celle ayant réuni les grandes Marches pour la liberté qui ont fait converger des millions de personnes, à pied, vers Barcelone sur des distances de quelques 100 km.
Ces mobilisations se poursuivent, mues par l’ensemble de la société civile, par les associations étudiantes, par les syndicats, et par des groupes spontanés, formidablement bien organisés, inventifs, résiliants et en constante résistance contre une répression innommable, violente, et surtout, humiliante.
Pedro Sànchez, le président de l’Espagne refuse de répondre aux appels répétés de Quim Torra, le président de la Catalogne. Il s’est pourtant rendu à Barcelone, il y a quelques jours, deux heures, pour visiter des policiers blessés durant les émeutes. Des policiers qui, eux, ont toute la liberté de frapper et qui ont déjà fait beaucoup plus de blessés chez les manifestants.
Car oui, en marge des mobilisations pacifiques, familiales, spontanées ou organisées, il y a, presqu’à tous les soirs, des confrontations entre des manifestants masqués et des policiers casqués. C’est surtout, voire uniquement de ces manifestations-là dont on traite dans les médias internationaux. Et les images de poubelles incendiées, de fourgonnettes de police maculées de peinture, de barricades renversées roulent en boucle.
Si l’on veut expliquer les actes violents posés par les manifestants depuis deux semaines (autrement que par la présence de casseurs venus d’ailleurs ou d’agents provocateurs), c’est, je crois, par l’attitude, l’agressivité, et la violence de la police qu’il faut le faire.
Une police qui a blessé et arrêté plus d’une cinquantaine de journalistes. Qui a molesté et gazé des touristes à l’aéroport d’El Prat. Qui ferme sans mandats judiciaires les sites internet des organisations indépendantistes.
Une police qui a tout le loisir de taper sur les indépendantistes, et qui embrasse les manifestants pro-Espagne, laissant par le fait même parfois passer, dans ces manifestations unionistes, des gestes néofascistes et des symboles franquistes en fermant les yeux.


Une police qui matraque sans raison. Qui enserre les manifestations. Une police qui agit avec l’attitude du possédant, du conquérant venu mater du Catalan, avec mépris et arrogance.
Les Catalans ont la chance d’avoir au-dessus de leur tête un ciel bleu, plus souvent qu’autrement. Mais ce bleu se délaye depuis quelques années pour laisser place au gris. Il se charge vite de nuages de tempête, et celle-ci ne semble pas être prête à se dissiper.
La crise en Catalogne est un problème interne, nous dit l’Europe. Soit. Mais à force, les problèmes internes de la Catalogne, de Hong Kong, du Liban, du Chili, du Vénézuela, de la Bolivie, etc., ça fait beaucoup de problèmes internes en même temps, tous liés par la volonté des populations à faire reconnaître des droits démocratiques fondamentaux bafoués.
La semaine dernière, comme un symbole fort, une véritable tempête a ravagé des larges portions de la Catalogne, faisant même des blessés et des morts. Je regarde le ciel blanc qui retrouve peu à peu des couleurs bleutés à Montréal, et j’espère que l’hiver sera beau à Barcelone.