Une étude portugaise* démontre que lorsque l’on est très proche d’une autre personne, dans un relation de couple par exemple, nos cœurs parviennent peu à peu à se synchroniser, à battre à un même rythme. À force de se côtoyer, de vivre tout près l’un de l’autre, de se coller, nos cœurs en viennent à battre en choeur (bin oui).
Mais quand on ne vit qu’avec soi-même, sans personne à étreindre, notre cœur bat sans écho, à un rythme qu’il est seul à entendre.
Avant, il y avait les amis pour accorder mon cœur. Les soirées entraînantes, les rires en éclats, les chants vibrants, les franches accolades, les bourrades bienveillantes. Je raccordais mon cœur sans aucune réserve au registre des miens que je pouvais serrer contre moi, souvent, fortement, constamment. J’enchainais les soirées à en perdre le tempo et ce chahut solidaire suffisait amplement à faire tinter l’éclat de mon cœur solitaire. Avant, même seul, mon cœur battait sur des rythmes vivants. Avant.
Maintenant, il bat à cadence rompue, mon cœur.
Deux ans de solitude à peine entrecoupée de duos feutrés, de trios en sourdine, de quatuors étouffés. Fini les chœurs tonnants, aucun hymne sonore, à peine quelques éclats pour ne pas oublier que les amis existent, mais qui ne suffisent pas à faire taire les soupirs qui assourdissent ma vie d’un silence croissant.
Comment dit le dicton déjà ? Cœur qui soupire n’a pas ce qu’il… mais qu’est-ce que je désire ?
Retrouver soudainement cette valse défile-temps qui nous essoufflait tant ? J’ai perdu la cadence. À force de le retenir, mon élan s’est brisé. Je n’ose plus danser. Je me crispe à chaque frôlement. Je réprime moi-même les quelques tremolos qui pourraient m’entraîner. Je refrène mes transports de peur d’être, encore, à nouveau freiné.
La solitude en appelle à la solitude. Dans cet hiver trop long, nos quelques tintamarres me cassent les oreilles parce qu’ils sonnent sans écho dans mon ordinaire reclus. Je jalouse les cajolés. Je me soliloque sur moi-même et je m’empêtre vers l’autre.
Pourquoi ai-je l’impression que tout se désaccorde?
Je regarde autour et je n’arrive plus à voir qui brisera ce tumulte et redonnera le la d’une nouvelle symphonie.
Comment dit le dicton? Loin des yeux, loin du cœur…
Les amis éloignés le sont de plus en plus. Quel ton a le concert des amitiés lassées? de celles dissolues? des amis qu’on retrouve et qu’on ne reconnaît plus? à qui s’ajoutent ceux qu’on a perdu dans un dernier soupir…
Les amis qui sont proches, aussi, le sont de plus en plus. Ils me portent et ponctuent le rythme de mon cœur. Mais nous sommes épuisés. On a le mouvement lent et le pas alourdi. Nos chansons répétées ne nous enchantent plus. Quels seront les refrains de la vie qui reprend?
Le murmure du printemps ravive mes toniques et m’incite à siffler de nouvelles ritournelles.
Je veux gonfler ma voix de musiques nouvelles. Toucher. Suer. Crier. Étreindre. Mordre. Goûter. Aimer. Exalter mon désir des sens qui frissonnent pour étouffer le bruit de la cacophonie du monde.
Je n’ai pas le courage des orchestres de naufrage.
Je veux syntoniser mon cœur au vacarme mélodieux de la joie qui détone et retrouver le rythme des hymnes à l’amour, pour surmonter en chœur la violence qui tonne et redonner un sens au siècle qui déchante. Imaginer la clé de futures harmonies.
.
*Coutinho et al, 2020