N’en déplaise aux hérauts de l’irrécusable droite, chaque enjeu de notre société ne se résout pas en quelques raccourcis rhétoriques et deux trois idées préconçues ; tout n’est pas assimilable aux lois du marché.
Nous assistons ces jours-ci à un renouveau du débat sur les « droits » de scolarité…
… d’ailleurs, avez-vous remarqué que l’expression droits de scolarité remplace désormais frais de scolarité ? On parle donc de débattre de combien nous devons payer pour accéder à un droit et on en vient à perdre de vue que ces frais sont une dépense qui pèse sur notre capacité à accéder collectivement à l’éducation supérieure…
… mais revenons à nos moutons qui bêlent ensemble que les étudiants devraient payer leur juste part de ce qu’ils reçoivent comme éducation. L’un des motto de leur pensée est que l’éducation que les étudiants universitaires acquièrent leur permettra d’accéder à des emplois bien rémunérés qui compenseront pour la part d’investissement placé dans leurs études.
L’éducation, dans cette optique, est un tremplin vers la réussite économique. Les elgrablyens1 de ce monde plaident même qu’il est de la responsabilité des étudiants, dans un tel système, de choisir des disciplines académiques performantes qui seront gage de leur réussite professionnelle. Exit les sciences molles, les arts et la connaissance abstraite dont l’utilité productiviste ne s’est jamais manifestée. Exit en somme l’un des rôles les plus cruciaux de l’université comme institution de la société civile : celui de miroir critique de la société humaine.
En somme, le capital intellectuel que nous acquérons à l’université, si je m’en remets à la logique du discours pro-hausse des droits de scolarité, devrait servir qu’à intégrer une fonction économique utile et l’université devrait oublier son rôle critique pour devenir l’antichambre de l’entreprise privée (ce qui est déjà pratiquement fait). Fini le plaisir d’apprendre pour apprendre, de chercher à répondre à des questions complexes sans finalités visibles. Dans cette logique, les années que je passe actuellement à l’université sont donc inutiles. Perdues. Elles ne me serviront à rien si je ne peux les transformer en sonnants et trébuchants dollars… à moins de devenir prof d’université, peut-être…
Eh bien. J’aime bien l’inutile.
Et je souhaiterais dans chaque personne utile ait accès à cette part d’inutilité que seule l’éducation prolongée peut faire fleurir. Cette étincelle de curiosité et d’ouverture pour un monde qui, lorsqu’il se replie dans son ignorance ne peut que courir à sa perte.
Cette part d’inutilité, c’est ce qui nous permet de comprendre que c’est un devoir collectif d’élever notre capacité à comprendre, à s’adapter et à débattre. C’est un devoir collectif et ce devrait être un idéal collectif que d’aspirer à ce que chacun d’entre nous ait sa part d’inutile savoir…
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1. En référence à Nathalie Elgrably-Lévis (ndlr)